D’après une étude récente, plus de 62% des créatifs freelances ne bénéficient pas de sécurité sociale. Démunis de statut légal, ces acteurs de l’économie créative, qui sont victimes de l’instabilité des revenus, sont aujourd’hui à la peine. Mais ce marché reste toujours porteur d’opportunités, même s’il est faiblement générateur de droits d’auteur.
La percée des nouvelles technologies a révolutionné le monde du travail. Le salariat, de plus en plus boudé par les nouvelles générations, cède le terrain au travail indépendant, aujourd’hui en vogue.
En effet, pour les jeunes, la notion du travail s’apparente à une expérience professionnelle qui leur permet de s’épanouir, d’évoluer et de s’ouvrir à de nouvelles perspectives professionnelles.
Ultra-connectées et tournées plutôt vers la créativité et l’entrepreneuriat, les générations Y et Z sont de plus en plus attirées par les métiers créatifs qui s’exercent souvent en freelance. Il s’agit, essentiellement, de métiers à forte valeur ajoutée où on génère la propriété intellectuelle, une notion basée sur le travail intellectuel et les droits d’auteur. En Tunisie, on estime que plus de 120.000 travailleurs indépendants exercent un métier créatif. Un chiffre important qui reflète les penchants professionnels des jeunes générations et qui est, à titre comparatif, bien supérieur aux 70.000 créatifs freelances en France.
Entre aspirations et besoins
Si le «freelancing» présente plusieurs avantages et opportunités pour les acteurs de l’économie créative, tels que la flexibilité du travail, la mobilité et la liberté dans la gestion du temps et des projets, ce mode de travail se caractérise encore, en Tunisie, par une précarité qui fragilise les jeunes créatifs et constitue pour beaucoup d’entre eux une source de stigmatisation. Dans les secteurs créatifs, qui sont à haute valeur ajoutée, le freelancer est un agent d’innovation qui contribue à la création de richesses et d’emplois de qualité, ainsi qu’au renforcement de la maturité de l’économie digitale.
Cependant, démunis de statut légal adéquat aux spécificités des métiers créatifs, mais aussi de régime de sécurité sociale qui convient à l’instabilité des revenus, les créatifs freelances sont à la peine.
Une étude récente menée par le centre Ticdce (Tunis international center for digital cultural économy), l’Organisation internationale du travail (OIT), l’Unesco, le réseau «Prod’it» et le programme PAQ (Programme d’appui à la qualité), mise en œuvre par le ministère de l’Enseignement supérieur, a été récemment réalisée dans l’optique de dresser un état des lieux de la situation socioéconomique des créatifs freelances en Tunisie.
Elle vise à identifier les défis auxquels ils font face, en termes, notamment, de réglementation, de rémunération et de protection sociale. Son objectif est d’évaluer leurs attentes et besoins en matière de soutien et d’accompagnement. C’est une enquête qui a été réalisée auprès d’un échantillon représentatif de 14.000 travailleurs indépendants dans divers secteurs créatifs.
Inadéquation des réglementations avec la nature des métiers créatifs
En somme, les résultats mettent en lumière l’insécurité socioéconomique des freelances dans ces domaines, et ce, en dépit des avantages dont ils peuvent bénéficier. En effet, dans 43 % des cas, le freelancer est le principal statut dont jouissent ces travailleurs. Près de 34% des sondés se déclarent moyennement satisfaits de leur situation socioéconomique, tandis que 38,3 % d’entre eux affirment qu’ils ne sont pas satisfaits.
En dehors des freelancers en communication, qui éprouvent une satisfaction relativement plus élevée, la tendance générale tend, donc, vers l’insatisfaction. D’une manière générale, la moitié des répondants travaillent en freelance à titre principal. Cependant, il existe des disparités sectorielles importantes au niveau du recours à l’emploi en mode freelancer entre les divers secteurs. En effet, pour 75% des freelancers dans le secteur art et culture, ce mode de travail constitue la principale source de revenus, contre 33,7% uniquement dans le domaine de l’informatique, 52% dans l’audiovisuel et arts médiatiques, et 44% dans le secteur de la communication.
Le statut légal reste la préoccupation majeure de la majorité des freelancers avec 95,1% qui considèrent le statut une priorité. La sécurité sociale figure aussi parmi les priorités de ces travailleurs indépendants. Plus de 62% d’eux affirment qu’ils ne bénéficient pas de sécurité sociale. Et en cause, le régime des mensualités qui n’est pas adapté à la nature instable du revenu dans les secteurs créatifs.
L’étude met, par ailleurs, l’accent sur le potentiel de l’économie créative en Tunisie. D’après les résultats, il s’agit d’un marché ambitieux, mais qui est faiblement générateur de droits d’auteur. Ce paradoxe peut être observé à partir du déphasage qui existe entre les aspirations des créatifs freelances, dont la majorité absolue (95%) accorde une importance à la propriété intellectuelle et la réalité où 30% seulement procèdent effectivement à l’enregistrement de leurs créations. Il reste tout de même un marché très porteur, puisque, rappelons-le, le secteur des industries culturelles et créatives génère, à titre indicatif, 1,5 milliard de dinars de chiffre d’affaires par an.